Copie du mail adressé dans l'urgence par Odile Maurin le 21 janvier 25 au député Philippe Brun, rapporteur de la PPL visant à lutter contre les pannes d'ascenseur, à Aurélié Trousseau, présdente de la commission des affaires économiques de l'Assemblée Nationale, et à plusieurs députés membres ou non  de la commision, soit connus de la présidente d'Handi-Social, soit ayant manifesté leur intérêt à travailler les questions de handicap

Copie lettre avec le contenu du mail à télécharger :

https://www.pepsup.com/resources/documents/ARTICLES/000/187/122/1871228/DOCUMENT/HS_250121_alerte_sur_danger_PPL_ascenseur_et_necessite_revision_vdef2_publi.pdf


Toulouse le 21 janvier 2025

A : Madame La Présidente et Mesdames et Messieurs les membres de la commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale, 
Mesdames et Messieurs les parlementaires,


De : Odile Maurin, militante pour les droits des personnes handicapées et présidente de l'association Handi-Social, conseillère métropolitaine de Toulouse Métropole, personne handicapées se déplaçant en fauteuil roulant électrique, et personne autiste

Objet :
Assemblée Nationale : Proposition de loi visant à lutter contre les pannes d'ascenseurs non prises en charge, n° 518, déposé(e) le mardi 29 octobre 2024.


Mesdames, Messieurs,

Je viens vous interpeller au sujet d'une proposition de loi sur les ascenseurs dont vous allez débattre en commission, et que j'estime en tant que militante des droits des personnes handicapées plus dangereuses pour nos droits, que protectrices.
 
Je fais suite à cet article découvert tardivement.
https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/eure/pannes-d-ascenseurs-dans-les-immeubles-bientot-une-nouvelle-loi-pour-imposer-une-reparation-en-48-heures-3065131.html 

En effet, en tant que responsable associative et militante, spécialiste du droit handicap et accessibilité, et en tant qu’élue connaissant bien les questions de compétences entre Etat et collectivités, je mène un combat pour le droit à la mobilité verticale

D'autant plus que dans le contexte du dérèglement climatique, il va devenir de plus en plus dangereux de résider en rez-de-chaussée pour les personnes handicapées et âgées. Sans parler des pannes liées aux canicules pour lesquels rien n’est anticipé.

Je précise que j’ai pu joindre la collaboratrice du député Brun lundi midi, trop brièvement à cause de nos agendas respectifs, et qu’écrire reste compliqué pour moi car ma dictée vocale nécessite beaucoup de correction et mes troubles cognitifs rendent l’exercice épuisant.

Je tenais malgré tout à vous faire remonter plusieurs remarques importantes sur cette PPL, afin de vous demander de prendre le temps de construire un projet qui donne réellement des résultats effectifs : 
 
-    J'ai obtenu pour le bailleur social les Chalets dans la métropole toulousaine un délai d'intervention de trois quarts d'heure en cas de personnes qui ne peuvent pas utiliser les escaliers (obtenu après avoir médiatisé des situations remontées jusque chez Otis au States). 

-    Dans les autres situations, le délai maximum d’intervention des bailleurs et de quatre heures quand il s’agit de personnes valides. Dans votre PPL, le délai monte à 2 jours, et je n’y vois aucune justification. Une première urgence serait d’étendre les dispositions de l’arrêté du 18 novembre 2004 aux interventions 24/24 7j/7 pas uniquement pour les personnes bloquées en cabine mais aussi pour celles qui ne peuvent pas entrer et sortir librement de l’immeuble

-    En effet, les ascensoristes et les bailleurs ne se préoccupent que des personnes bloquées dans les cabines, alors que pour une personne handicapée ou âgée, qui n’est pas en capacité de monter et descendre par l’escalier, se retrouver bloquée à son étage ou en bas de son immeuble est aussi une violation fondamentale de ses droits et empêche de fait toute participation à la vie sociale. 

-    Vous invoquez le fait qu’il n’y a aucun délai légal aujourd’hui fixé pour intervenir. Mais vous omettez la jurisprudence qui aboutit à la condamnation de bailleurs et de syndics de copropriété, mais sachant les difficultés du français moyen pour ester en justice, c’est très insuffisant.

-    Vous omettez aussi la solution dans le cas d’une panne particulièrement complexe et sans solution immédiate, d’un relogement temporaire aux frais du bailleur ou du syndic de propriété pour les personnes âgées ou handicapées qui seraient prisonnières de leur logement ou à l’extérieur. C’est ce que j’ai obtenu dans certains cas en faisant valoir l’alternative de la saisine du tribunal

-    La problématique à laquelle nous sommes confrontés, c'est qu'au-delà des engagements pris par les bailleurs, il y a les moyens qu'ils se donnent réellement pour appliquer les engagements pris. Et là aussi la responsabilité des bailleurs sociaux et des copropriétés posent question et cela interroge aussi d’avoir donné une parole prépondérante dans cette PPL à ses acteurs.
 
-    Je souhaite aussi attirer votre attention sur la fausse bonne idée que des services de portage des personnes pouvant faire monter ou descendre des personnes handicapées seraient une solution. Car cela ne concerne que certaines d'entre elles, celles qui sont en fauteuil manuel. De plus, cela pose un problème de sécurité car les personnels employés à cette tâche sont souvent peu qualifiés et peu formés, et il y a déjà eu des accidents. Surtout, cela revient à dédouaner les bailleurs et les ascensoristes de leurs responsabilités sans apporter de réponse réelle.

-    Surtout, pour les personnes en fauteuil roulant électrique, il n'y a pas de solution. Et au-delà de ça, qui parmi les personnes valides accepteraient de devoir prendre rendez-vous pour voir simplement entrer et sortir de son logement ? Qui parmi les personnes valides accepterait d’attendre 2 ou 8 jours pour sortir de chez soi et dans ces conditions, quel accès à la scolarité, à l’emploi, aux loisirs, et tout simplement quelle vie sociale ?

-    La question des dégradations trop souvent avancées par ascensoristes et bailleurs pour expliquer les pannes et sur lesquels je vous donnerai des motifs de nuancer fortement cette affirmation 

-    Prévoir que les bailleurs et promoteurs aient l’obligation de prévenir l’ascensoriste seulement sous 2 deux jours : à moins d’obliger tout bailleur et syndic de copropriété à répondre 24 heures sur 24, c’est encore rajouter des délais supplémentaires
 
Un véritable moyen pour agir en faveur des intérêts des personnes âgées et handicapées qui ont besoin d'ascenseur pour se déplacer, c’est certes d’imposer aux bailleurs et copropriétés de contractualiser avec des ascensoristes en fixant des stocks de pièces à conserver en permanence (comme l’exemple d’ANCG), quitte à rationaliser les choix d'investissement pour ne pas avoir trop de modèles différents. 

Mais la rédaction de votre PPL ne garantit rien à ce sujet et vous savez comme loi que si la loi n’est pas très précise, les textes réglementaires produits par les ministères avec les lobbies à l’œuvre détricoteront la loi et ce sera la négation de la volonté du législateur comme on l’a tant vu sur la loi de 2005.
 
Cela pose aussi et surtout la question de la manière dont on construit les nouveaux logements et des exigences en matière de réhabilitation de l’existant. Sur ce sujet je pourrais vous communiquer le rapport de l’IGEDD que le gouvernement cache et qui fait le bilan de la loi Elan (qui a divisée par cinq la production de logements neufs accessibles), démontrant que celle-ci n’a absolument pas permis de diminuer le coût de construction, mais a bien et réellement aggravé la situation des personnes âgées et handicapées et qu’elle a aussi renchéri le coût du logement accessible. 

Alors que le surcoût de l’accessibilité dans le neuf selon la banque mondiale est de 1 %, le logement universel et le droit à la mobilité verticale doive s’imposer si nous voulons continuer à prétendre être une société humaniste.
  
Je travaille depuis très longtemps sur la question de l'accessibilité au logement, tant sur le plan technique que réglementaire. Sachant que j'ai déjà obtenu la condamnation d'un bailleur social pour des défauts d'accessibilité, que j'ai fait condamner la région Occitanie pour d'autres défauts de l'accessibilité sans l’aide d’avocats, et j'interviens aussi dans des formations à destination des collectivités et de diverses organisations sur les sujets du handicap et de l'accessibilité.
 
J'ai aussi beaucoup travaillé avec l’ex rapporteur de la commission accessibilité du CNCPH dont les écrits ont permis la condamnation à 3 ou 4 reprises de l'État lors de tentatives de faire reculer les droits des personnes handicapées. Cet ancien technicien du bâti de la Ville de Paris, paraplégique, m’a permis de me former sur le plan technique aussi. Sachant cependant que l’immense majorité des organisations qui siègent au CNCPH, sont les représentants des organisations gestionnaires d'établissements et de services que l'ONU dénonce comme étant en conflits d'intérêts pour assurer la représentation des personnes handicapées. Un peu comme si Orpea prétendait représenter les personnes âgées…. C'est pour cela que nous avons refusé de siéger au CNCPH.

Au-delà de la question problématique de la représentation des personnes handicapées par les gestionnaires et non par des organisations indépendantes comme le demande l’ONU dans son rapport de 2021 auquel j’ai contribué, il n’y a eu pour cette PPL aucune audition des représentants des plus concernés. Ce qui est particulièrement inquiétant car comment parler de nos problématiques sans nous ?
 
Je collabore aussi en ce moment au rapport de la fondation Abbé Pierre sur l'Etat du mal logement, qui sera présenté le 4 février à Paris, et j'interviendrai à l'occasion de cette présentation, ayant pas mal contribué à ce rapport qui pour la première fois parle de handicap et de logement mais aussi d'ascenseurs. Je suis en train de vérifier dans la version définitive ce qui a été repris de mes analyses.

Quelques pistes de réflexion : 
- la nécessité d’engagement de ratio de personnels d’astreinte par nombre d’ascenseurs, en tenant compte de la vétusté du parc, car c’est la souvent que cela pèche

- la question de la maintenance préventive avec des pénalités sur le taux de panne, 

- la question des sanctions qui si elle n’est pas automatique et d’un niveau suffisant pour être dissuasive ne permettra qu’aux plus aguerris de se défendre et laissera les classes populaires continuer à subir, 

- la question ausis de l’information du demandeur d’assistance suite à panne en temps réel pour tenter de réorganiser son quotidien, 

- la possibilité de manœuvre manuelle de l’ascenseur, permettant ainsi de faire descendre une personne en fauteuil électrique quand il n’y a pas d’autre solution,

- l’obligation de remplacement de l’ascenseur passé un certain âge et en fonction du bilan technique

- plutôt que de réduire la pénalité qui serait trop élevée par rapport au montant des contrats de maintenance, interrogeons-vous plutôt sur le montant des contrats de maintenances qui sont de mon point de vue très largement sous dimensionnés, et qui incite à laisser filer les pannes

- la loi devra s’imposer aux bailleurs mais l’État devra aussi aider les bailleurs et les copropriétés fragiles car sinon nous allons continuer pendant des années à assister au déni du droit d’entrer et sortir librement de son logement

- enfin, il faudra s’interroger sur l’importance de la mainmise de quatre multinationales sur le marché

Je note qu’il y a néanmoins des points positifs dans cette PPL, l’aide aux copro dégradées, le rôle de l’ANAH pour aider au remplacement, le contrôle technique sur la vétusté obligatoire avec une meilleure connaissance du parc, la proposition d’un rapport sur les causes et le nombre de pannes, mais globalement, elle va constituer un recul, ne serait-ce que sur le délai qu’elle entérine et qui va ouvrir la porte à de nouveaux reculs. 

Cela n’enlève rien à l’engagement du député Brun et de sa collaboratrice que je remercie d’avoir lancé le débat, mais cette PPL n’est pas abouti et ne le sera pas sans que les principaux et directement concernés et leurs représentants indépendants, qui maîtrisent le sujet, afin d’enrichir cette PPL.
 
Je reste à votre disposition pour échanger sur tout cela et pouvoir vous faire des propositions plus précises et argumentées.

Bien à vous.

Odile MAURIN,
Présidente d’HANDI-SOCIAL

Note faite dans l’urgence et comportant donc des imprécisions, des manques tout en rappelant que nous sommes des bénévoles
 

Description image : Dessin d'une personne en fauteuil devant un ascenseur barré de la rubalise par "Panne - Danger". Sur le mur, il y a des yeux fermés ainsi qu'une affiche "Service portage 8h-19h SA Logements". Dessin signé Pinel